Pape François, suite 4 des extraits de l’Encyclique « Il nous a aimés »

Vendredi 7 mars 2025 — Dernier ajout vendredi 21 mars 2025

Les raisons du cœur

154. Il pourrait sembler que cette expression de dévotion n’ait pas de support théologique suffisant. Mais en réalité le cœur a ses raisons. Le sensus fidelium perçoit qu’il y a là quelque chose de mystérieux qui dépasse notre logique humaine, et que la Passion du Christ n’est pas un simple fait du passé : nous pouvons y participer par la foi. Méditer le don de soi du Christ sur la croix est plus qu’un simple souvenir pour la piété des fidèles. Cette conviction est solidement fondée dans la théologie. À cela s’ajoute la conscience de notre péché qu’Il a porté sur ses épaules blessées, et de notre insuffisance devant tant d’amour qui nous dépasse toujours infiniment.

155. Quoi qu’il en soit, nous nous demandons comment il est possible d’être en relation avec le Christ vivant, ressuscité, pleinement heureux, et en même temps de le consoler dans sa Passion. Il convient de considérer que le Cœur ressuscité conserve sa blessure comme un souvenir constant, et que l’action de la grâce provoque une expérience qui n’est pas entièrement contenue dans l’instant chronologique. Ces deux convictions nous permettent d’admettre que nous nous trouvons sur un chemin mystique qui dépasse les tentatives de la raison et exprime ce que la Parole de Dieu elle-même nous suggère : « Mais – écrivait le Pape Pie XI – quelle consolation peuvent apporter au Christ régnant dans la béatitude céleste ces rites expiatoire ? Nous répondrons avec Saint Augustin : “Prenez une personne qui aime : elle comprendra ce que je dis.” Toute âme aimant Dieu avec ferveur, quand elle regarde le passé, peut voir et contempler dans ses méditations le Christ travaillant pour l’homme, affligé, souffrant les plus dures épreuves “pour nous les hommes et pour notre salut”, presque abattu par la tristesse, l’angoisse et les opprobres ; bien plus, “écrasé à cause de nos fautes” ( Is 53, 5), dans ses blessures nous trouvons la guérison. Tout cela, les âmes pieuses ont d’autant plus de raison de le méditer que ce sont les péchés et les crimes des hommes commis en n’importe quel temps qui ont causé la mort du Fils de Dieu ».

156. Cet enseignement de Pie XI mérite d’être pris en considération. En effet, lorsque l’Écriture affirme que les croyants qui ne vivent pas en accord avec leur foi « crucifient pour leur compte le Fils de Dieu » (He 6, 6), ou que lorsque j’endure les souffrances pour les autres « je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ » (Col 1, 24), ou que le Christ durant sa Passion a prié non seulement pour ses disciples d’alors, mais « pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en Lui » (Jn 17, 20), elle dit une chose qui brise nos schémas limités. Elle nous montre qu’il n’est pas possible d’établir un avant et un après sans aucun lien, même si notre pensée ne sait pas comment l’expliquer. L’Évangile n’est pas seulement à réfléchir ou à remémorer dans ses différents aspects, mais à vivre, tant dans les œuvres d’amour que dans l’expérience intérieure. Et cela vaut surtout pour le mystère de la mort et de la résurrection du Christ. Les séparations temporelles que notre esprit utilise ne semblent pas contenir la vérité de cette expérience croyante dans laquelle se fusionnent l’union avec le Christ souffrant et, en même temps, la force, la consolation et l’amitié dont nous jouissons avec le Ressuscité.

157. Voyons alors l’unité du Mystère pascal dans ses deux aspects inséparables qui s’éclairent mutuellement. Ce Mystère unique, rendu présent par la grâce dans ses deux dimensions, fait que nos souffrances sont illuminées et transfigurées par la lumière pascale de l’amour, alors même que nous cherchons à offrir quelque chose au Christ pour le consoler. Nous participons à ce Mystère dans notre vie concrète parce que, par avance, le Christ a voulu participer à notre vie, Il a voulu par avance vivre en tant que tête ce que son Corps ecclésial allait vivre, tant dans les blessures que dans les consolations. Lorsque nous vivons dans la grâce de Dieu, cette participation mutuelle devient une expérience spirituelle. En définitive, le Ressuscité par l’action de sa grâce nous permet d’être mystérieusement unis à sa Passion. Les cœurs croyants qui font l’expérience de la joie de la résurrection le savent, mais ils désirent en même temps participer au destin de leur Seigneur. Ils sont prêts à cette participation par les souffrances, les peines, les déceptions et les peurs qui font partie de leur vie. Ils ne vivent pas ce Mystère dans la solitude parce que ces blessures sont également une participation au destin du Corps mystique du Christ qui marche au milieu du peuple saint de Dieu. Celui-ci porte en lui le destin du Christ en tout temps et en tout lieu de l’histoire. La dévotion de consolation n’est pas anhistorique ni abstraite, elle se fait chair et sang dans le cheminement de l’Église.

(Encyclique « Dilexit nos, Il nous a aimés », du 24 oct. 2024)

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