e. J’étais heureux d’être dans une communauté dont Jésus était le centre.

Mercredi 7 août 2019

A travers les feuilles du pommier/ Nos regards se sont rencontrés/ Mon amant a pris son envol/ Et l’ombre se meurt sur le sol. /

Je me suis retrouvé dans cette communauté chrétienne qui vivait avec des personnes handicapées mentales. J’entendais parler de "Jésus dans le pauvre" et cela m’agaçait beaucoup car je ne voyais que bave, violence et autres réalités semblables ! Même si il y avait bien untel ou untel qui était gentil ! Par contre j’étais heureux d’être dans une communauté dont Jésus était le centre. J’aimais cette communauté ou le matin nous nous retrouvions à la chapelle pour la messe. Je passais mon temps à la chapelle dès que mon "travail" était terminé. Jésus, comme « Ami du pauvre », s’est pour moi révélé assez vite. J’étais ce pauvre rejoint par Jésus. Il ne m’a pas révélé mes blessures et mes pauvretés, mais bien plus profondément, il m’a montré son Amour et je l’ai reçu. C’était une expérience de découverte de moi-même tout autant que de Dieu. Cette expérience de l’Amour de Dieu me permettait d’affronter la violence qui sévissait là. Devant la violence de Jean Pierre qui aurait pu tuer quelqu’un, il me fallait me débrouiller ! Et je me tournais vers Jésus, dans la prière ! Je devais reconnaître ma pauvreté à l’école des pauvres. Les "synthèses" faites avec les professionnels de la santé étaient un lieu majeur de formation et de reconnaissance de ma pauvreté. Je pouvais relire ma vie et l’éclairer à partir des données que je découvrais dans l’analyse de la vie des personnes handicapées.

Il me fallait prendre une attitude adaptée face au mal dont souffraient les personnes, et travailler pour plus de justice et de vérité afin que nous avancions ensemble dans la vie commune ! Nous travaillions avec Erol le psychiatre et d’autres personnes compétentes. A chaque "synthèse" que nous faisions pour des personnes handicapées, je m’interrogeais sur la nature humaine. Les personnes handicapées m’ont obligé à m’ouvrir à leur pauvreté et par le fait même à la mienne. J’avais la chance d’être dans une école de psychologie pratique avec les synthèses qui regroupaient les éducateurs et les spécialistes en psychologie et en psychiatrie. Petit à petit, grâce aux synthèses, une compréhension de la vie psychologique s’ouvrait devant moi. J’ai toujours été intéressé par la connaissance de soi, j’étais à bonne école. Je me souviens des synthèses sur Patrick, même si nous étions très différents, je me retrouvais très fort dans sa faiblesse et dans sa vulnérabilité. Gérer le quotidien ne m’était pas difficile, et j’avais de bons espaces pour la prière. Marie veillait dans cette nouvelle étape. Le Père blanc qui m’accompagnait à Kerlois m’envoya une lettre me disant : « Nous venons d’ordonner quelqu’un comme toi ! » Cette parole m’a remis sur les rails du sacerdoce. Je fis part de ce courrier à mon père spirituel ! C’est ainsi que j’ai repris la formation philosophique et théologique.

Ta bouche, un vin exquis, Il s’écoule vers mon bien-aimé, abreuvant des lèvres endormies.

La première prière du soir, dans le lieu ou vivaient ces personnes si violentes, fut un événement dont je me souviens encore. Nous avions préparé cette prière avec beaucoup d’attention, c’était nouveau et elle s’est bien déroulée ! A partir de ce jour-là, même si les violences n’avaient pas disparu, ce ne fut plus comme avant. Nous avons transformé une partie d’un grenier pour en faire une chapelle avec la présence du Saint Sacrement. Nous instruisions les personnes vivants ensemble des beautés de l’Evangile. C’était un moment de consolation pour tous. Je comprenais alors combien les événements du passé avaient une influence sur le présent ! Je vivais face à mes limites, ceux qui avaient plus de moyens intellectuels étaient plus facilement reconnus. C’était à nouveau l’expérience de ma pauvreté dans une communauté ou les « pauvres » étaient honorés. L’humilité m’était très nécessaire pour continuer paisiblement mon chemin. J’ai dû me former pour obtenir un diplôme d’éducateur spécialisé. Le stage que j’ai fait à l’hôpital psychiatrique de Clermont dans l’Oise m’a impressionné. Les responsables du service qui m’accueillaient m’ont proposé de revêtir la blouse blanche des infirmiers. Ma réponse spontanée fut non, si c’était possible. Me retrouvant en "civil" au milieu des malades, l’un d’eux vint me voir avec son plus beau sourire : "Qu’est-ce que tu as fait ? J’étais dans un cas de conscience ; Ou je me cache dans l’anonymat des malades, ou je dis que je suis éducateur ! Optant pour la vérité face à cette personne, l’effet fut immédiat : C’était comme si une porte se refermait devant moi, les signes de la maladie sont immédiatement revenus sur son visage. Cela m’a bouleversé !

O dérobe-moi mon amant/ Ou fais de mon corps ton froment/ Mon âme est à jamais meurtrie/ De ce cœur que tu as ravi/ Plus rien ne me tient désormais/ Ni cavernes ni roseraie…/

Je passais alors mes repos en conférence et en cours à Paris. A l’Abbaye d’Ourscamp j’appréciais beaucoup les formations qui y étaient donnés. Il y avait ainsi une belle harmonie entre mon travail, la vie en communauté avec les personnes meurtries, et mes études. J’étais comblé par tout ce que je découvrais et qui me permettait de mieux me connaître. Je découvrais que si la dimension « intellectuelle » était nécessaire, le sens affectif était un lieu de connaissance de soi très important. Il rejoignait la « conscience d’amour » dont beaucoup parlait ici. Ces apports me permettaient de rejoindre mon intériorité, ma personne. Je me suis « bâti » à partir de cette intériorité, dans la relation à Jésus et aux autres, en privilégiant la dimension affective, la vie intérieure. Par ce chemin, je prenais conscience que mes relations en communauté étaient positives si elles se situaient sur le plan personnel et cordial ! Je restais très vulnérable quand la confiance venait à manquer ou que tout simplement l’autre était moins sensible à cet aspect affectif, qu’il était plus rationnel, plus intellectuel. Je crois que je rejoignais par-là les « personnes » handicapées qui avaient moins de moyens intellectuels et qui « fonctionnaient » plus avec le cœur ! Edith Stein, met en évidence ce qu’elle nomme le « sens affectif situé au centre de l’être et qui est l’« organe destiné à appréhender l’étant dans sa complétude et dans sa spécificité. » (Vie chrétienne de la femme, p. 182.) « Nous avons attribué au "sens affectif" une importance considérable pour l’organisme tout entier de l’être psychique. Il a une fonction cognitive essentielle, il est le centre où la réception de l’étant se mue en une prise de position et en un acte personnel. Mais il ne peut s’acquitter de sa fonction sans la coopération de l’entendement et de la volonté. Sans le travail préliminaire de l’entendement, il ne parvient point à un résultat cognitif. L’entendement est la lumière qui éclaire son chemin […]. Ses propres mouvements ont besoin d’être contrôlés par l’entendement et guidés par la volonté. […] Là où l’entraînement de l’entendement et la discipline de la volonté feront défaut, la vie du "sens affectif" sera agitée et ira à la dérive » (p.183)

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