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Dimanche 8 décembre 2024

Je me suis retrouvé à Kerlois (29) au grand séminaire des Pères Blancs, il me fut conseillé de faire une expérience dans « le monde » ! Où aller ? L’Arche s’est imposée à moi comme communauté chrétienne. Je ne connaissais que l’Arche et mon désir était de participer à l’Eucharistie quotidienne. Je me suis donc retrouvé dans cette communauté de l’Arche de Trosly-Breuil. J’entendais parler de Jésus dans le pauvre et cela m’agaçait beaucoup car je ne voyais que bave, violence et autres réalités semblables, même si il y avait bien untel ou untel qui était gentil ! Par contre j’étais heureux d’être dans une communauté où Jésus était le centre. Je passais mon temps à la chapelle dès que mon « travail » était terminé. Je serais bien incapable de dire comment les choses ont changé !

Petit à petit les personnes m’ont obligé à m’ouvrir. Nous travaillions avec Errol le psychiatre et d’autres personnes compétentes. A chaque « synthèse » que nous faisions pour des personnes handicapées, je m’interrogeais sur la nature humaine. En 1972, nous avons entrepris, avec d’autres assistants, de suivre la formation d’une école d’Educateurs Spécialisés. Je garde de bons souvenirs de ces semaines passées sur les bancs de l’école de Neuilly-sur-Marne. Le stage que j’ai fait à l’hôpital psychiatrique de Clermont (60) m’a impressionné. On m’a demandé si je souhaitais mettre la blouse blanche des infirmiers. Ma réponse fut : non… si c’était possible. Me retrouvant en « civil » au milieu des malades l’un d’eux vint me voir avec son plus beau sourire : « Qu’est-ce que tu as fait ? ». Cas de conscience ! Ou je me cache dans l’anonymat des malades, ou je dis que je suis éducateur ? Optant pour la vérité face à cette personne, l’effet fut immédiat, c’était comme une porte qui se refermait devant moi. Les signes de la maladie sont immédiatement revenus sur son visage. Cela m’a bouleversé !

Comment était-il possible que des « mondes » s’affrontent de la sorte ? J’ai fait ensuite une licence de théologie à l’Institut Catholique de Paris. Nous avions à l’Arche la célébration de la confirmation des personnes handicapées présidée par Mgr Desmazières évêque de Beauvais. Après la cérémonie, prenant son repas avec nous, il m’interrogea. Je lui parlais des cours de théologie que je suivais tout en travaillant. Le Père Stéphane fut très intéressé et, connaissant mon itinéraire, il me proposa de lui constituer un dossier relatant mon parcours personnel et les études entreprises, car il allait à Rome en visite ad limina. Il emportait aussi d’autres dossiers. A son retour il fit cette confidence ; le Cardinal Garonne, Préfet des séminaires, à qui il présentait les dossiers lui répondit : « cette Arche si elle vous demandait un prêtre que feriez-vous ? » La réponse était claire, « je lui en donnerais un ». « Eh bien, dit le cardinal, il s’en présente, ordonnez les ! ». Quand Mgr Desmazières a rencontré Paul VI, le Pape répondit : « Je sais les séminaires de France sont vides… mais les prêtres viendront par ailleurs ».

La décision fut alors prise de nous envoyer au Grand séminaire de Reims pendant une année avec stage de formation pastorale. Je fus ordonné prêtre le 8 septembre 1978 à l’église St Paul des Sablons de Compiègne. Après la célébration, ma mère, que Jean Vanier avait emmenée à la sacristie, salua l’évêque. Celui-ci lui posa une question : « Gilbert, votre fils, l’avez-vous consacré à Dieu ? » Ma mère, très émue, lui dit : « Monseigneur, je vais vous dire quelque chose que je n’ai jamais dit à personne. Quand je portais Gilbert, mon mari était parti à la guerre, alors je me suis tournée vers Dieu et vers la Sainte Vierge et je leur ai dit : »Si vous faites revenir mon mari, celui-là (c’était de moi dont il s’agissait) je vous le donne« . L’évêque malicieusement lui répliqua : »Votre mari est-il revenu ?«  »Bien sûr répondit ma mère". Grâce à Dieu ! C’était la première fois que ce souvenir revenait à l’esprit de ma mère, cependant quelle mystérieuse Providence conduit chacun !

Il me faudrait parler de la manière dont les pauvres de l’Arche m’ont transformé. Cela s’est fait de manière souterraine. Certes il y a bien eu l’un ou l’autre événement, où j’ai pris conscience de manière très réelle de la Présence cachée de Jésus dans les plus démunis. J’ai été aussi le témoin du cheminement de tant d’assistants dans cette réalité. Aujourd’hui je sers la Paroisse de Notre Dame de Neuffontaines : L’Arche y est bien implantée et c’est grande joie à l’Eucharistie dominicale de constater le rayonnement des personnes handicapées et la joie des paroissiens de pouvoir ainsi prier ensemble. Que de fois les personnes me font l’éloge de ceux qu’ils connaissent bien : Pierrot, que devient-il ? Il y a longtemps que je ne l’ai pas vu, il est si délicat pour moi !« Ma joie est aussi de célébrer quotidiennement l’Eucharistie dans la communauté de l’Arche. Une vingtaine de servants d’autel se »disputent« , chaque jour, la joie d’une proximité de l’autel. Quelle présence : »C’est beau ça !« me dit souvent Pascal. Il y a là une telle rencontre entre Jésus vivant au cœur du pauvre et Jésus célébré dans l’Eucharistie ! Didier montre son cœur et dit : »Je prie pour toi« . Je sais que sa prière est précieuse pour Jésus. Quant à Christiane, après la communion, elle s’arrête devant l’autel, immobile, et ayant bien réfléchi elle s’écrie : »Je t’aime".

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