
Je suis né en 1940 dans les montagnes des Vosges. Mon premier souvenir est celui d’un char américain qui montait par le sentier conduisant à notre petite ferme. A ma naissance mon père était mobilisé et c’était le couvre-feu ! Ma tante, dès le soir du 15 juillet, est allée chercher le médecin car ma mère était entrée dans les douleurs de l’enfantement. Il est arrivé beaucoup plus tard ! Ma pauvre mère n’était pas encore « délivrée », après l’avoir soignée il se tourna vers moi ! Quand il me vit dans mon berceau il s’exclama : « Qu’avez-vous fait ? » car je baignais dans mon sang, la voisine n’avait pas bien ligaturé le cordon ombilical !… Ma mère m’a raconté cela alors que je l’interrogeais à propos de ma naissance. Les allemands sont arrivés dans la région la même nuit. Dès ce moment ils avancèrent l’horloge d’une heure. A ce propos mon frère aîné m’a rapporté récemment que nous avions trouvé dans l’horloge d’une église voisine un petit papier caché dans le mécanisme : « Untel… ai avancé l’horloge d’une heure le 15 juillet 1940 ». Aujourd’hui j’aime me souvenir que je suis donc né, officiellement, le 16 juillet, fête de Notre Dame du Carmel. Marie s’est « imposée » à moi dès mon premier jour, avec grande douceur et très grand respect. J’étais le quatrième enfant d’une famille d’agriculteurs. Ma mère était tisserande. Une petite sœur est née deux ans après moi. Je suis resté très attaché à ce petit coin de terre sur lequel j’ai vu le jour. Petit, j’allais garder les chèvres sur la colline. Je me souviens des jeux dans lesquels, très intrépide, j’entraînais ma petite sœur Annette. Notre maison était retirée à flanc de coteau, en limite du village. J’ai le souvenir de mon arrivée à l’école communale, au milieu de trente enfants que je ne connaissais pas. Je suis toujours resté très sauvage bien que nos relations aient toujours été « familiales » avec les « parents » des villages voisins. A quatorze ans il fallait travailler. Nous regardions les petites annonces du journal : « cherche apprenti boucher charcutier à Epinal ». Pourquoi pas ! C’est ainsi que déraciné, je me retrouvais dans une toute autre situation que la petite ferme qui se suffisait presque à elle-même. Lauréat d’un CAP, à 18 ans je devance l’appel (c’était l’époque des troubles en Algérie) et suis incorporé en Allemagne. Sous-officier j’y suis resté deux ans avant d’être sélectionné pour intégrer une école d’officiers et me réengager à 20 ans pour trois années. Entre-temps j’ai été muté à Ouargla au Sahara français de l’époque. Si je me trouvais à l’étroit dans les limites de mon petit village des Vosges, j’étais maintenant confronté aux mœurs militaire. Ce fut une époque où j’ai beaucoup lu, comme pour rattraper un grand retard. J’ai peu de souvenirs de ma vie chrétienne, elle était mêlée avec les contraintes de la vie quotidienne. Je pense avoir toujours cru en Dieu. La période militaire fut une époque où je me posais beaucoup de questions. Dieu faisait son travail, doucement, et, un jour je pris la décision d’aller parler avec les Pères Blancs Missionnaires d’Afrique qui étaient à Ouargla dans le sud Algérien. Ne me sentant pas à ma place dans l’armée, j’ai donné ma démission et c’est ainsi qu’en octobre 1964 je me suis retrouvé dans la maison d’étude des Pères Blancs à Bonnelles (78) où se trouvait également Gérard qui habitait Trosly-Breuil (60). Celui-ci invita plusieurs étudiants à venir passer le mois de septembre à l’Arche de Trosly. Jean Vanier était déjà venu parler de cette Communauté nouvelle à l’Institut de formation. Je me suis donc retrouvé pour la première fois dans une communauté chrétienne qui vivait au contact quotidien avec des personnes handicapées mentales. J’aimais bien cette communauté et je nous vois encore, à sept heures du matin, dans la petite pièce qui nous servait de chapelle, serrés comme des sardines en boîte, à la messe que célébrait PTP. Comme je fus heureux de me retrouver, un mois plus tard, à la gare de Compiègne… j’avais fait ma « BA » et c’était bien fini. Les personnes handicapées « très peu pour moi ». Le « sort » ou la Providence en avait pourtant décidé autrement. Les personnes handicapées ne m’attiraient pas, pourtant, la Providence en avait pourtant décidé autrement.