(a) A la suite de Jésus, aux sources de la liberté d’aimer.
« Les pauvres sont évangélisés, » dit Jésus aux envoyés de Jean le baptiste. S’ils sont évangélisés, ils deviennent Evangélisateurs. La vie de Bernardo, par l’amour qui s’en dégage, par la demande incessante de présence pour pouvoir se donner, nous donne de contempler l’Auteur d’une telle vie. Bernardo, image d’une perle cachée au fond d’un puit, n’est pas le seul à révéler ce mystère. La vie des pauvres, qui paraît extérieurement insignifiante, non rentable pour le monde, un fardeau plutôt, est une si belle lumière ! Dès que la perle est exposée au soleil, dans l’accueil d’une communauté qui l’aime, elle resplendit d’une lumière qui est toute intérieure. Elle rejoint l’intérieur de l’autre, car sa beauté l’illumine, elle fait apparaître en lui la lumière. Le rejet des pauvres est aussi le rejet des Apôtres de Jésus. Il est stigmatisée par Paul : « Nous sommes devenus la risée du monde. » Il y a une complicité entre les pauvres du monde et les pauvres envoyés en mission par Jésus, et la contemplation de ceux qui le recherchent dans la solitude. Mystérieusement, ils se reconnaissent. L’Esprit Saint, le Père des pauvres, fait leur unité.
Pourtant, la vie des pauvres engendre une humanité nouvelle qui est éclairée par la vie de Marie de Nazareth que le Saint Esprit anime. La souffrance de cet enfantement des pauvres est grande, elle est manifestée par la Croix de Jésus Christ. Marie est unie à Jésus, grâce à l’Esprit Saint caché dans son cœur. Cette vie veut se répandre en ce monde car notre terre est la terre de Dieu. C’est la contemplation de Jésus dans sa Passion qui devient la lumière : « Ceux qui vous tueront, croiront rendre un culte à Dieu. » Jésus dit au bon larron : « Aujourd’hui avec moi tu seras dans le paradis ! » Il affirme clairement : « Bienheureux serez-vous, » à ceux qui vivent des Béatitudes : « Réjouissez-vous car votre récompense est grande dans les cieux. » Là est le vrai bonheur, c’est celui qui nous éclaire.
Avant de devenir ’sauveur’ avec Jésus, il nous faut être sauvé. Comme les pauvres, nous avons besoin d’une main secourable. Jésus donne sa mère à l’apôtre Jean, Marie devient la mère de Compassion. Quand nous nous heurtons au mystère d’iniquité qui sévit en humanité, la présence de cette nouvelle Alliance est si précieuse . Quelle force peut alors être puisée là ! Cette lumière nous est nécessaire à l’heure du tourment et de l’agonie. La délicatesse de Jésus pour nous est une si grande sagesse qu’elle nous emplit de joie. En effet, c’est une joie de coopérer à l’œuvre de Dieu dans le monde. Comme Jésus est engendré par le Père, il est soutenu par l’Esprit Saint, il en sera de même pour les disciples de Jésus, ils seront portés par Jésus et soutenus par l’Esprit Saint. « Comme le Père m’a envoyé je vous envoie, dit-il, recevez l’Esprit Saint. »

Jésus prendra la place de l’homme pécheur et il introduira les disciples vers le sein du Père. La pauvreté de Jésus sera la pauvreté de ses envoyés. Dépendre de la volonté d’un autre nous introduit dans une grande petitesse. L’Amour infini de Dieu est dans le cœur des disciples, c’est la condition pour qu’ils existent dans l’Amour, sinon ils seront pleins d’eux-mêmes. Paul dit aux Philippiens : "Lui, de condition divine, n’a pas estimé comme une usurpation d’être égal à Dieu, il s’est anéanti, prenant forme d’esclave, devenant semblable aux hommes, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort et la mort sur une croix." (Ph.2.6) Si Jésus s’est ainsi identifié aux pauvres, la pauvreté sera la condition nouvelle pour participer à sa mission.
Jésus nous ouvrira le Chemin, il affrontera le mystère d’iniquité du monde dans ses manifestations les plus atroces. Paul en a fait l’expérience : « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? L’affliction, l’angoisse, la persécution, la faim, la nudité, le danger, le glaive ? En tout cela nous sommes les grands vainqueurs. » (Rm.8.35). Partout où s’exprimera la souffrance de l’humanité et à fortiori dans ce qu’elle a de plus obscur et de plus insupportable, Jésus sera là et l’Esprit Saint nous sera donné. Nous savons qu’il s’agit des souffrances extérieures, mais encore des souffrances intérieures. Bernadette de Nevers dira son expérience à une sœur qui lui fait remarquer combien son asthme était difficile à supporter : « Ma sœur, ce qui est bien plus terrible encore, c’est quand l’âme ne respire plus. » Dans sa foi elle crie vers son Sauveur. L’Agneau qui porte la souffrance du monde est bien là. Cette ’absence’ de Dieu lui-même pour elle, est offerte par elle, à la suite de Jésus, pour que les pécheurs aient la lumière. C’est ce mystère de Jésus qui est déjà annoncé dans la première alliance : « Mon fils, disait David, que ne suis-je mort à ta place. » (2 S. 19)
C’est la méditation de Jésus qui nous dit l’Amour du Père : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné le Fils unique. » (Jn.3, 16) Ce mystère nous est désormais manifesté. Jésus ajoutera : « Il faut que le monde sache que j’aime le Père. » (Jn.14.31) C’est sur cette confiance de Jésus en son Père, qui est toujours demeurée totale, que nous nous appuyons. En lui, toute expérience humaine a été reprise. C’est là qu’Il nous rejoint, à cet endroit où la nuit est totale. C’est ce qui s’est réalisé dans la vie d’Albert.

Albert, nouvel arrivé à l’Arche, faisait face au rayonnement de la communauté chrétienne avec beaucoup d’agressivité ! Il était très enfermé en lui-même, avec un caractère qui faisait de lui « un dur, » qui n’était pas facile à vivre. Quand il est arrivé, il était très dépaysé. Fils d’un exilé politique du Portugal, son père devait professer un athéisme pur et dur. Quand nous allions prier le soir à la chapelle et que nous l’invitions, sa réponse était claire : « Le Bon Dieu c’est les parents, les parents ils sont morts ! Alors, tu comprends ?” Il n’y avait rien à lui répondre dans cette fermeture si radicale.
Cependant la vie de respect, d’amitié et d’accueil faisait son travail dans le cœur d’Albert. Un soir, Albert est arrivé à l’oratoire avec son plus beau sourire. La prière terminée, j’ai demandé à Albert ce qui se passait. Alors son visage s’est éclairé comme on peut l’imaginer quand on le connaît bien. Il est tout entier, il répliqua : « Le Bon Dieu est vivant, il est vivant dans le cœur » dit-il avec son plus beau sourire et mettant sa main sur sa poitrine. Alors je lui dis pour continuer sa découverte : Les parents aussi sont vivants, ils sont dans le cœur ! » La complicité du regard d’Albert coupait court à toute insistance. Pour Albert, « oui, l’amour de Dieu est vivant, il est dans le cœur ! » C’est une grâce de le recevoir et de le vivre en communauté. Si les soucis et les difficultés sont portés ensemble, les joies et les “résurrections” sont aussi partagées.
La grâce, la lumière et l’Amour du Christ Jésus circulent entre chacun.
Albert n’était pas insensible au climat d’Amour que nous essayions de propager. Petit à petit cet Amour a fait son chemin. Un jour cet Amour a été vainqueur de beaucoup de peurs. Dans le cœur d’Albert qui est devenu rayonnant d’amour, nous pouvons expérimenter aujourd’hui son rayonnement. Albert nous a partagés par la suite, l’amour de sa maman pour N.D de Fatima. Nous pouvons penser que ses prières ont été entendues. Marie, mue par l’Esprit Saint, rejoint le “Cœur” du Père quand elle tisse le cœur humain de Jésus, et qu’elle est transformée par Lui. Notre terre devient ainsi la terre de ’l’homme’ et la terre de ’Dieu’. Un chant du Cantique annonce les Noces de l’Agneau, il chante la victoire de la Résurrection, de l’Amour victorieux de tout mal : ’Lève-toi’ annonce la Résurrection dans la nuit de Pâques : Jésus est remis debout, nous aussi à sa suite, pouvons être relevés. Ce chant est célébré par Marie, debout au pied de la Croix de Jésus. La Femme de Compassion est mue par l’Esprit Saint, comme son Enfant qui s’est offert dans l’Esprit éternel. “Ma colombe cachée au creux des rochers.” [41] Ce creux du Rocher est interprété par les Pères de l’Eglise comme étant cette blessure du Cœur de Jésus. A partir de ce Roc d’où coulent le Sang et l’eau, renaît une humanité nouvelle, belle, comme une fiancée parée pour son Époux.

Passage à un renouveau, à une nouvelle lumière. Une nouvelle humanité, régénérée dans le baptême (eau qui coule du sein de Jésus) et nourrie de l’Eucharistie (sang versé pour le salut du monde) est en train de naître : « Femme voici ton fils dit Jésus à Marie ; Jean, voici ta mère, dit-il encore. » (Jn.19.26) Le ciel est désormais ouvert, c’est dans l’Amour infini de Dieu que la nouvelle humanité se laisse contempler. Une page du Cantique des Cantiques exprime bien, ce passage à un renouveau, à une nouvelle lumière : « Voici mon bien-aimé qui vient, il escalade les montagnes, il franchit les collines, il accourt comme la gazelle, comme le petit d’une biche. Le voici qui se tient derrière notre mur ; il regarde par la fenêtre, Il guette à travers le treillage. Mon Bien-aimé a parlé ; Lève- toi mon amie, viens ma toute belle. Car voici que l’hiver est passé, la saison des pluies est finie, elle s‘en est allée. Sur notre terre, dans la campagne, les fleurs apparaissent. Le temps des chansons arrive. Le roucoulement de la tourterelle se fait entendre dans nos campagnes. Le figuier forme ses premiers fruits, la vigne en fleur exhale son parfum. Lève-toi ; mon amie : viens, ma toute belle ! Ma colombe, blottie dans le rocher, cachée dans la falaise, montre- moi ton visage, fais-moi entendre ta voix car ta voix est douce, et ton visage est beau. ” (Ct.2.14).
L’Évangéliste Mathieu mentionne l’envoi en mission des Apôtres au début de son ministère, (Mt 10.16-20) mais c’est Jésus lui-même qui continue à enseigner à cet endroit. Il faudra attendre sa Passion et sa Résurrection pour que les disciples accomplissent effectivement leur mission. (Mt.28.16-20) Jésus envoie l’Esprit Saint qui nous devance. L’Amour que Jésus porte au Père est surabondant, c’est l’Amour qu’Il donnera à ses frères, il est exprimé dans ce grand désir : J’ai désiré d’un grand désir prendre cette Pâque avec vous pour que le Père soit glorifié. Le Sauveur annonce que les enfants du Père seront glorifiés en Lui. Il est la Lumière du monde. Nous en serons à jamais illuminés. C’est dans la Parole de Dieu reprise à notre propre compte que nous pourrons tenir bon. Nous comprenons pourquoi Mathieu situe l’envoi ’réel’ en mission après la Passion et la Résurrection de Jésus.