(10 ; 9) A la suite de Jésus, aux sources de la liberté d’aimer.
Partout où s’exprime la souffrance de l’humanité dans ce quelle a de plus obscur, Jésus est là, et l’Esprit Saint nous est donné. Paul dit : « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? L’affliction, l’angoisse, la persécution, la faim, la nudité, le danger, le glaive ? » (Rm.8.35). En tout cela nous sommes vainqueurs. Jésus envoie l’Esprit Saint qui nous devance, c’est son Amour qu’Il nous donne. Il l’exprime dans ce grand désir : "J’ai désiré d’un grand désir prendre cette Pâque avec vous." Jésus va affronter le mystère d’iniquité dans ses manifestations les plus atroces. Il prendra la place de l’homme pécheur et il l’introduira dans le sein du Père. Le Père sera glorifié, et les enfants du Père seront glorifiés en Lui. Nous savons qu’il ne s’agit pas que des souffrances extérieures, mais encore des souffrances intérieures. Mystère de Jésus déjà annoncé dans la première alliance. « Mon fils, disait David, que ne suis-je mort à ta place. » (2S.19) « Dieu à tant aimé le monde qu’il a donné le Fils unique. » (Jn.3,16) Et Jésus ajoutera : « Il faut que le monde sache que j’aime le Père. » (Jn.14.31). C’est sur cette confiance totale de Jésus envers son Père que nous nous appuyons. C’est en lui que toute expérience humaine est reprise. Bernadette à Nevers dira à une sœur qui lui fait remarquer combien son asthme est difficile à supporter : « Ma sœur ce qui est bien plus terrible encore c’est quand l’âme ne respire plus. » Dans sa foi elle crie vers son Sauveur. L’Agneau qui porte la souffrance du monde est bien là. Cette ’absence’ de Dieu lui-même pour elle, est offerte pour que les pécheurs aient la lumière. Jésus nous rejoint, à cet endroit où la nuit est totale,

Jésus est la Lumière du monde, nous en serons à jamais illuminés. La Parole de Dieu est reprise à notre propre compte pour que nous puissions tenir bon. L’Évangéliste Mathieu mentionne l’envoi des Apôtres en mission, (Mt 10.16-20) mais il faudra attendre la Passion et la Résurrection pour que les disciples accomplissent leur mission. (Mt.28.16-20) Avant d’être ’sauveur’ avec Jésus, il nous faut d’abord être sauvés, avoir une main secourable. Jésus nous donne sa mère, Marie la mère de Compassion, elle, est là. Cette présence est précieuse quand nous nous heurtons au mystère d’iniquité qui sévit toujours en humanité. Une force est puisée là, et une lumière nécessaire à l’heure du tourment et de l’agonie est donnée. Cette délicatesse de Jésus pour nous est si grande, elle nous rempli de joie. C’est joie de coopérer à l’œuvre de Dieu dans le monde. Comme Jésus est porté par le Père, soutenu par l’Esprit Saint, il en est de même pour les disciples de Jésus, ils sont portés par Jésus et soutenus par l’Esprit Saint. « Comme le Père m’a envoyé je vous envoie, recevez l’Esprit Saint. »

La pauvreté de Jésus sera la pauvreté de ses envoyés. Dépendre ainsi de la volonté d’un autre introduit dans une grande petitesse. C’est la condition pour que puisse exister l’Amour infini de Dieu dans le cœur des disciples, sinon, ils seront pleins d’eux-mêmes. La lettre de Paul aux Philippiens dit largement le choix de Jésus ; « Lui, de condition divine, n’a pas estimé comme une usurpation d’être égal à Dieu, s’est anéanti, prenant forme d’esclave, devenant semblable aux hommes, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort et la mort sur une croix. » (Ph.2.6) Si Jésus s’est ainsi identifié aux pauvres, la pauvreté sera la condition nouvelle pour participer à sa mission. « Les pauvres sont évangélisés » disait Jésus aux envoyés de Jean le baptiste. S’ils sont évangélisés, ils deviennent Evangélisateurs. Nous reconnaissons que ces pauvres ne sont pas reçus ! « J’avais faim, soif, vous ne m’avez pas nourris ; j’était malade, en prison vous ne m’avez pas visité ; j’était nu, sans foyer vous ne m’avez pas reçu » (Mt.25.42..). L’épreuve des Apôtres de Jésus ne sera pas facile à accepter. Paul dira : « nous sommes devenus la risée du monde. » Nous sommes mis devant le mystère de la pauvreté. Il y a une complicité entre les pauvres du monde et les pauvres envoyés en mission par Jésus, ils se reconnaissent. L’Esprit Saint, le Père des pauvres, fait leur unité. La contemplation de Jésus dans sa Passion est leur lumière. La relation de Jésus avec les larrons à la croix est éclairante : « Ceux qui vous tueront, croiront rendre un culte à Dieu. » Il affirme clairement ou est le vrai bonheur.
(10 ; 13) Au cœur de la douleur une brèche.
Nous nous demandons quel drame se vit au cœur du premier bandit crucifié avec Jésus. Il le harcèle de cette manière : "Sauve- toi toi-même et nous avec." Lc. 24-35. Curieusement le même ricanement est repris par la foule. C’est l’expression d’une humanité qui vit la perte. Perte de la liberté : “avant la domination romaine, nous étions libres.” Perte de l’image de soi : “avant la crucifixion”, le bandit pouvait exister dans la vengeance, le ressentiment du mal qu’on lui avait fait. Vivre de la perte, du manque, est une misérable manière d’exister. Au Calvaire, le rassemblement se fait autour de cet enfermement sur soi : “II en a sauvé d’autres, qu’il se sauve lui-même et nous croirons en Lui.” Cet enfermement a pour principe qu’on pourrait se sauver par soi-même. Jésus manifeste qu’on n’est pas sauvé par soi-même. Il révèle qu’on est sauvé par un Autre. Jésus souffre dans sa chair de l’enfermement de l’humanité sur elle-même. "Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as- tu abandonné" (Mt.27.46). C’est avec l’humanité rachetée par sa Croix, que Jésus se présente au Père. Dans l’Esprit Saint, Il reçoit l’aide nécessaire pour nous sauver encore. Par Lui, le “Crucifié et Glorifié”, l’Esprit Saint nous est donné et le Père est glorifié. "A tous ceux qui l’ont reçu, Il a donné le pouvoir de devenir enfant de Dieu. Ses bras ouverts, son Cœur ouvert offrent le pardon qui fera renaître. Jésus peut dire : “Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font.” Lc.24, 34.

Jésus vit l’inadmissible souffrance de l’humanité d’une façon surprenante, dans sa chair, au Calvaire, dans sa personne. Il y aura désormais une issue à l’enfermement sur soi mortel. Au sein de l’horrible douleur, une brèche. “Quelqu’un”, qu’on a appelé le bon larron, est entré dans cette souffrance absurde. C’est là qu’il rencontre Jésus, qui lui offre dans ce lieu même, une liberté nouvelle. Jésus a entendu son cri d’angoisse et de détresse. Le bon larron l’appelle par son nom : "Jésus, souviens-toi de moi quand tu seras dans ton royaume.” Lc.23, 41. Lui, que la souffrance intolérable avait refermer sur lui-même, reçu la possibilité de se tourner vers l’autre : “Lui n’a rien fait de mal,” dit-il à propos de Jésus. Alors qu’il souffrait comme lui, la crucifixion, il a su se ressaisir, retrouvant un être nouveau. Ainsi s’est opérée une transformation. Nous considérons la mystérieuse communauté de souffrance du Golgotha. Apres le départ des accusateurs de Jésus, il reste une communauté de compassion. Nous contemplons Jésus en croix, son accueil dans l’Esprit Saint de la volonté du Père. Par son “Unique”, Dieu sauve l’humanité du péché. Nous regardons Marie, la mère de Jésus, au pied de la croix. Son ouverture au drame impensable de la crucifixion de son fils la situe dans un au delà de la Foi surprenant. La présence des ’saintes’ femmes et de Jean l’Apôtre donne un témoignage ultime qui a du interroger le bon larron. Il pouvait accepter tout ce qu’il avait perdu et ainsi offrir sa pauvre vie à Jésus.
Dans "l’acceptation” de Marie, il pouvait accueillir tout ce qu’il avait perdu. II découvrait en Jésus de quoi vivre encore, “souviens-toi de moi”. C’est cette nouvelle communauté de souffrant avec lui, qui lui permettait de “refaire surface.” Il pouvait retrouver en lui un désir de vivre quand même. La Parole de Jésus vient le confirmer : “Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis.” [69] II peut alors souffrir avec Jésus. Cette souffrance n’aura pas le dernier mot, ni même la mort prochaine. Là où est Jésus, là, il sera dans la Vie. “Voici ton Fils”, dira Jésus à Marie en parlant de Jean. Ce “Voici ton Fils” Jn.19, 26. est aussi reçu par le bon larron. Si proche de la mort, l’expérience montre que la personne humaine a la conscience du “déroulement” de sa vie. Notre origine est toujours en rapport à notre mère, cette femme, notre maman, a été pour chacun de nous, “le milieu” qui nous a porté dans ce monde.
En portant Jésus, Marie a porté tous ceux que Jésus sauve dans son mystère. C’est-à-dire toute l’humanité. L’acceptation de Marie à la Croix a été nécessaire au bon larron quand Jésus était déjà mort. D’atroces souffrances l’attendaient encore. Marie, “la mère de Jésus”, était là. Jean, "le prêtre" était devenu son frère, il souffrait avec lui, il n’était plus seul. Une communauté nouvelle avait pris naissance au pied de la Croix. Une autre vie s’énonçait avec et pour tous les souffrants de ce monde. Marie, la femme des douleurs est là, à jamais cachée dans le creux du Rocher, c’est-à-dire la blessure de Jésus, la Blessure de Dieu devant la misère de l’humanité. Si nous croyons aux Paroles de Jésus : « Aujourd’hui tu seras avec moi, » nous croyons au chemin parcouru par cet homme. Il nous faut revenir à un chemin d’espérance pour le premier larron. Pour ce premier condamné avec Jésus, l’insupportable souffrance se réveille : “Sauve-toi toi-même, et nous avec.” C’est chacun pour soi dans sa solitude et son enfermement. Si l’autre ne se “sauve pas et moi avec,” c’est qu’il n’a pas entendu mon appel, qu’il ne sait pas ce que je vis, qu’il ne peut pas me rejoindre. Je suis seul, irrémédiablement seul. D’ailleurs, pourquoi ne se sauve-t-il pas lui-même ? II ne le peut pas, comme moi non plus je ne le peux pas. La déception est totale, l’enfermement infernal. Si encore il savait ce que je souffre ! Mais non, l’horizon est bouché.
Retentit alors le cri de Jésus manquant de souffle, il ne peut beaucoup parler : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?” Mt. 27,46. Nous ne savons pas l’effet de cette Parole de Jésus sur cet homme. La miséricorde exercée sur l’autre larron, l’ouverture de Jésus à son Dieu n’a-t-elle pas provoqué l’ouverture de cet homme à la souffrance de Jésus qui, cette fois, le rejoint ? Car Jésus crie sa détresse qui est la détresse du monde. Dans cette communion d’Amour la plus forte qui soit, “le Père et moi nous sommes un” Jn.10,30, s’exprime la “distance” la plus cruciale qui lui est donnée à vivre. Serait-ce un chemin ultime de “présence” donnée à ce condamné avec Jésus ? C’est parce que Jésus est descendu jusque là, parce qu’il s’est désapproprié de lui-même jusqu’à ce point qu’il peut encore ouvrir un espace de liberté intérieure au cœur de cet homme. Étant descendu encore plus bas, il peut le rejoindre et le relever. Ainsi cette personne, ce larron, a-t-il pu penser que Jésus savait sa souffrance, son angoisse et sa solitude absolue, et que, de l’intérieur même de cette situation, il l’avait rejointe.

(10 ; 7) L’Amour victorieux du Christ à l’origine d’une vie nouvelle. Au Cœur de l’humanité souffrante que nous côtoyons chaque jour se cache le reflet de l’humanité décrite par l’Apocalypse : "Belle comme une fiancée parée pour son époux." Comme une perle cachée au fond d’un lac, la vie des pauvres peut paraître insignifiante. Cependant, dès que la perle est exposée au soleil elle va resplendir. Mystère qui se réalise au cœur de l’Eglise. L’Apôtre Saint Jean signale Marie, la mère de Jésus, au pied de la Croix "Debout" comme son Fils. Ils engendrent une humanité nouvelle enfantée à la Croix. La souffrance de cet enfantement est grande. Comme à l’Annonciation, Marie est unie au Saint Esprit, qui, caché dans son cœur, la fortifie. Une nouvelle humanité est en train de naître, régénérée dans le baptême et nourrie de l’Eucharistie : « Femme voici ton fils ; Fils, voici ta mère » (Jn.19.26) Le ciel est désormais ouvert, c’est dans l’Amour infini de Dieu que la nouvelle humanité se laisse contempler. Une page du Cantique des Cantiques exprime bien, ce passage à un renouveau, à une nouvelle lumière : "Voici mon bien-aimé qui vient, il escalade les montagnes, il franchit les collines, il accourt comme la gazelle, comme le petit d’une biche. Le voici qui se tient derrière notre mur ; il regarde par la fenêtre, Il guette à travers le treillage. Mon Bien-aimé a parlé ; Lève- toi mon amie, viens ma toute belle. Car voici que l’hiver est passé, la saison des pluies est finie, elle s’en est allée. Sur notre terre, dans la campagne, les fleurs apparaissent. Le temps des chansons arrive. Le roucoulement de la tourterelle se fait entendre dans nos campagnes. Le figuier forme ses premiers fruits, la vigne en fleur exhale son parfum. Lève toi ; mon amie : viens, ma toute belle ! Ma colombe, blottie dans le rocher, cachée dans la falaise, montre-moi ton visage, fais-moi entendre ta voix, car ta voix est douce et ton visage est beau." (Ct.2.14) L’expression de ce poème, “sur notre terre,” suggère la complicité du Créateur et de sa créature.
Notre terre est devenue plus encore la terre de Dieu quand Jésus prend notre chair humaine. Marie mue par l’Esprit Saint rejoint le “Cœur” du Père quand elle tisse le cœur humain de Jésus et qu’elle est transformée par Lui. Notre terre devient ainsi la terre de ’l’homme’ et la terre de ’Dieu’. Ce chant du Bien Aimé est assimilé au chant du Dieu qui aime, à Jésus qui le manifeste. La Bien Aimée, l’humanité, prend visage dans la personne de Marie de Nazareth. Ce chant du Cantique annonce les Noces de l’Agneau, chante la victoire de la Résurrection, de l’Amour victorieux de tout mal. ’Lève-toi’ annonce la Résurrection dans la nuit de Pâques : Jésus est remis debout. Nous aussi à sa suite, et dès maintenant, pouvons être relevés. Marie est debout au pied de la Croix. La Femme de Compassion, mue par l’Esprit Saint, est debout, comme son Enfant qui s’est offert dans l’Esprit éternel. “Ma colombe cachée au creux des rochers.” [41] Ce creux du Rocher est interprété comme étant cette blessure du Cœur de Jésus. A partir de ce Roc d’où coule le Sang et l’eau, renaît une humanité nouvelle, belle, comme une fiancée pour son Époux.